2 - La creation en marche : les nouvelles pratiques artistiques

Si le développement des technologies et l'accélération dans leur usage conduisent à faciliter la multiplication et la reconnaissance de pratiques artistiques machiniques, électroniques, robotiques, télématiques et
communicationnelles, il ne faut pas méconnaître pour autant que cela fait plus de vingt ans déjà que des artistes s'illustrent en pionniers dans ces domaines ! Leur travail de recherche est resté longtemps ignoré, méconnu des circuits spécialisés de l'art. D'une part, leurs œuvres n'entraient pas encore dans les catégories esthétiques du moment (elles anticipaient plutôt sur les formes à venir...), d'autre part, surtout, elles ne répondaient pas aux critères du "commerce" de l'art, fondé avant tout sur la matérialité de l'objet comme condition nécessaire à son négoce. Tout naturellement les travaux de ces artistes n'ont pas bénéficié, dans un premier temps, d'un contexte, et des supports financiers et promotionnels indispensables à leur divulgation, comme à leur reconnaissance. Néanmoins, une fois de plus, des artistes par une approche intuitive et souvent empirique signalaient les voies dans lesquelles la société allait s'engager d'une manière significative quelques années plus tard. Une fois de plus, des artistes anticipaient par une attitude prophétique, et prenaient des gages sur une époque en total devenir. Aujourd'hui, le temps a passé et la situation de ces pratiques artistiques a évolué. Elles se trouvent en instance d'acquérir le vrai statut qu'elles méritent. Il est vrai qu'à différents égards elles sortent des cadres et des modèles esthétiques dominants, ces derniers restant essentiellement circonscrits à des pratiques artistiques "classiques", telles que la peinture ou la sculpture. Les arts médiatiques disposent désormais d'un environnement qui va leur permettre de se développer et de creuser l'écart avec les productions traditionnelles, essentiellement artisanales, qui par ailleurs ne remplissent plus exactement le même type de besoin.

"L'Esthétique des arts médiatiques reconduit l'ensemble des pratiques et des principes promus par l'Esthétique de la Communication. Elle se distingue cependant de cette dernière par certains points, entre autres par le maintien de pratiques produisant des objets, en robosculpture, en holographie par exemple, et par la poursuite de recherches dans le domaine de l'image à laquelle elle ménage une place importante avec le traitement photonique et numérique. Les arts médiatiques visent une réhabilitation du toucher, de l'olfactif et éventuellement du goût, ces expériences sensorielles négligées par l'art classique."

Les arts médiatiques se trouvent donc maintenant au cœur d'une société dont ils expriment étroitement le sensible, les pulsations électroniques et
communicationnelles. Certes, il s'agit d'un statut fragile qui n'a pas encore trouvé les supports économiques et idéologiques nécessaires à leur entière légitimation. Néanmoins ces pratiques artistiques "nouvelles" ne sont plus victimes du même aveuglement et des préjugés longtemps en vigueur, qui les maintenaient, sinon dans une totale exclusion, du moins dans une catégorie "mineure". Les critiques qui leur sont adressées, se répétant invariablement d'une année sur l'autre, affirmant qu'il ne s'agit plus dans leur cas d'espèce d'art, mais uniquement de... "technique", s'essoufflent et perdent chaque fois un peu plus de pertinence. Le rejet en bloc, par pure ignorance, de tout ce qui touche aux arts technologiques, sans discernement aucun, devient une position intellectuelle difficilement tenable, un peu comme on l'a constaté à l'apparition de la photo et de son inscription progressive dans le champ de l'art. Fort heureusement, avec le temps qui passe, les choses bougent. Les usages sociaux des techniques électroniques se sont généralisés au point d'être devenus déjà des facteurs déterminants de nouvelles formes d'imaginaire, alors que les modèles esthétiques en cours tendent à s'épuiser progressivement dans des survivances privées de toute dynamique.
La crise du sens qui frappe de plein fouet l'art comme la société crée un véritable "trou noir", dans lequel sont appelés à disparaître des modèles esthétiques qui ne correspondent plus aux nouvelles données de la sensibilité moderne, ni aux outils technologiques et informatiques qui sont les nôtres désormais, à cette différence près que l'ordinateur n'est plus à considérer comme un outil à proprement parler, mais comme un véritable un environnement... environnement en soi, ce qui induit que les transformations en cours constituent pour l'homme d'abord, et pour l'art ensuite, des bouleversements que nul n'est en mesure d'évaluer aujourd'hui. Cette situation amène la multiplication des signaux d'alerte. Dans tous les secteurs de l'activité humaine des clignotants s'allument, attestant d'une société en crise. Quand ils sont amenés à s'exprimer, les artistes, témoignent de leur désarroi et de leur incapacité à maîtriser une évolution qui leur échappe. Ils avouent ce trouble grandissant et déclarent, déboussolés, qu'ils n'ont plus rien à communiquer, plus rien à dire, plus rien à transmettre ! Il n'est pas une seule émission de TV consacrée à l'art contemporain où l'on n'entende cette litanie infligée aux téléspectateurs par quelques "ténors" des arts plastiques réunies sur le plateau, dans une ambiance cathodique et sépulcrale, très fin de siècle. Le Cercle de Minuit sur France 2, animé par la toujours excellente Laure Adler, s'en est fait une sorte de spécialité. La présentatrice rame désespérément dans le vide après chacune des questions à ses invités, qui, l'oeil morne, semblent tétanisés sous les caméras. Malgré ses efforts méritoires, elle n'arrive jamais à les tirer de la morosité ambiante, ni à leur arracher avant le sommeil de la nuit une seule note de "brillance"optimiste. C'est vrai, la crise de l'art bat son plein; tout le monde s'accorde à le reconnaître, une crise elle-même amplifiée par la crise financière qui s'y rajoute.
La situation, en l'occurrence, nous semble propice à une nouvelle redistribution des cartes, à l'émergence, à moyen terme, de formes et de pratiques artistiques renouvelées. Il n'entre pas dans notre propos d'entreprendre ici un historique retraçant, depuis les origines, le développement des pratiques artistiques. Par souci d'information, néanmoins, pour un public non spécialisé, il nous semble utile d'en citer et d'en décrire quelques-unes, afin de faire prendre conscience, du fait de leur nombre, de leur diversité et de leur singularité, d'une importance trop souvent ignorée par les milieux de l'art eux-mêmes, tout simplement parce que ces pratiques artistiques nouvelles n'entrent pas dans les grilles traditionnelles convenues et les impératifs marchands imposés par l'art contemporain.
Les artistes "cinétiques" ont été sans doute, dans la recherche d'une expression nouvelle dès les années 50 et de l'idée d'une participation active des publics, les précurseurs d'un art intégrant les effets de la lumière électrique, l'utilisation du mouvement et des machines, l'information rétroactive générée par l'environnement. Si leur ambition n'a pas été en mesure de combler le fossé qui séparait la science, la technologie et l'art, ils auront eu le mérite d'induire le rapprochement entre ces trois domaines distincts et, ainsi, de contribuer d'une certaine manière à l'effondrement des catégories anciennes, augurant la création artistique telle qu'elle est en mesure d'évoluer à l'ère de l'électronique et de la
communication généralisée. Certains artistes directement impliqués dans la recherche cinétique ont contribué au passage d'un art mécanique vers un art à dominante électronique. Il s'agit, entre autres, de Yaacov Agam, Nicolas Sch–ffer, Liliane Ljin, Piotr Kowalski. Ce dernier, après avoir marqué un intérêt pour les phénomènes scientifiques liés à la lumière, réalise aujourd'hui des dispositifs complexes, par lesquels, grâce à des procédés informatiques, il rend accessible à nos sens et à notre conscience le facteur temps. Rendant compte de cette évolution, nous voudrions citer le nom de Roy Ascott, un des artistes les plus importants dans ces domaines, tant par ses réalisations que par sa contribution à une réflexion prospective et dense, touchant à ces nouvelles pratiques artistiques. Ascott a exploré avec rigueur, et successivement tant sur le plan théorique que pratique, tout ce qui lie l'art à la recherche cybernétique, avant d'aboutir à un art des réseaux, utilisant d'une façon complexe diverses technologies de communication interactive. En 1983, dans le cadre de l'exposition Electra, il réalise une œuvre ("La plissure du texte") qui lui donne l'occasion d'exprimer des concepts fondamentaux concernant l'art naissant des réseaux :
"En électronique, lorsque les télé
communications et les systèmes informatisés convergent, il se crée un espace qui offre des possibilités révolutionnaires à l'artiste. C'est un espace interactif où la place des intervenants importe peu. Le message ne tient pas au code unique "envoyer-recevoir". Le sens est le produit des compromis conclus par les intervenants qui, par le biais de l'ordinateur, ont accès asynchroniquement à ce nouvel espace informatique (...) Le réseau informatique offre à l'artiste le seul média réellement capable de briser les limites du temps et de l'espace et qui, un jour, s'affranchira des frontières de l'intelligence individuelle des pays et des cultures (...). Même au stade de développement où nous sommes, il est possible d'entrevoir la naissance d'une conscience planétaire que je qualifierai de "conscience de réseau."
La notion d'interactivité occupe une place essentielle dans les orientations d'un art en devenir qui est "organiquement" et "histo-riquement" lié aux transformations technologiques et sociales de notre époque.

Elle tend à se généraliser dans son utilisation. Elle joue notamment un rôle prédominant dans la démarche d'artistes tels que Jeffrey Shaw, Myron W. Krueger, Karen O'Rourke, Eric Gidney, Sophie Lavaud, Bernard Démiaux, Miguel Chevalier, Char Davis, Stephen Wilson. Au sujet de Stephen Wilson, on peut dire qu'il s'illustre comme l'artiste type qui place l'intelligence artificielle au cœur de sa pratique. Ses systèmes informatiques interactifs réagissent à des indices quasi subtils et aussi proches de la nature humaine que les émotions, le goût et l'humour...
La contribution d'un autre artiste, Myron Krueger, aura été également déterminante pour les nouvelles orientations de l'art. Dans une conférence publiée en 1977, Responsive Environment, il déclare :
"L'environnement réactif est la base d'un nouveau média esthétique s'appuyant sur une interaction en temps réel entre l'homme et la machine. A long terme, il augure d'un nouveau champ d'expérience pour l'homme : celui des réalités artificielles qui ne chercheraient pas à singer le monde physique mais qui développeraient des relations arbitraires, abstraites, normalement impossibles entre action et réaction, cause et conséquence."

En 1983, dans Artificial Reality, il récidive et conforte cette idée, après l'avoir confrontée à sa propre pratique d'artiste : l'idée qui se trouve au centre de cet essai est celle d'un "environnement réactif", concept proche de la vision de Hobber dans laquelle le monde est une vaste mécanique. Destinée à aider à la compréhension de l'essence même de nos expériences actuelles et futures, ces expériences seront caractérisées par des ordinateurs capables d'identifier nos besoins et d'y répondre. En avril 1969, Krueger avait réalisé une œuvre intitulée Glowflow qui fut le point de départ d'un certain nombre d'expériences qui devaient le pousser à poursuivre sa vision personnelle du cyberespace, dont Metaplay en 1970, Psychic space en 1971, Videoplace en 1975. Au sujet de cette dernière œuvre susceptible de réagir de la manière la plus "intelligente" aux comportements des participants il écrit :

"L'environnement réactif ne débouche pas seulement sur une expression esthétique. Il s'agit d'un outil puissant dont les applications sont nombreuses. Videoplace constitue clairement une généralisation de la notion de
communication à distance. Il engendre une forme de communication si forte qu'il est parfaitement concevable que deux personnes souhaitent l'utiliser pour se rencontrer, même si en fait elles ont la possibilité de se rencontrer physiquement... "
Pour disposer de points de repères supplémentaires, il nous faut avoir en mémoire quelques dates clefs :

- Les premières applications artistiques qui exploitent les capacités informatiques de création graphique commencent à s'imposer dès 1965. Il faut citer comme artistes : John Withney, Kenneth Knowlton, Lilian Schwarz et Larry Cuba.

- Le Moog synthesiser de Robert Moogs de 1968 et les objets électroniques de Nam June Paik de 1971.

- Il faut se souvenir que c'est en 1969 qu'est réalisée la première exposition artistique dédiée à l'utilisation du téléphone comme outil de création à distance : Art by telephone en 1969 au Musée d'art contemporain de Chicago. Il faut souligner qu'il ne s'agit pas là encore d'œuvres produites en tant qu'événements d'art des télé
communications en soi, mais plutôt de la production de travaux artistiques par une méthode non usuelle. En effet, une partie des 36 artistes invités ont utilisé (comme l'avait déjà fait Moholy Nagy en 1922...) le téléphone pour faire construire des objets ou transmettre des instructions pour la mise en place d'installations.

- La même année, en Mai 1969, Fred Forest réalise un environnement informatique et vidéo interactif à la Galerie Sainte-Croix de Tours dans une création qui associe le musicien Luc Ferrari.

- Un des premiers travaux artistiques réalisés par télécopieur comme moyens d'images et de composition à distance est celui de Stan Van Derbeek en 1970. L'artiste, résidant au CAVS (Centre for Advanced Visual Studies) de l'Institut de Technologie du Massachusetts (MIT), a expédié des images au moyen d'un fax vers le Walker Art Center de Minneapolis. Ces images, montées au fur et à mesure par juxtaposition, ont fini par composer une œuvre mosaïque : Panels for the walls of the World.

- En 1977, Douglas Davis, en collaboration avec Nam June Paik et Joseph Beuys, réalise dans le cadre de la Documenta VI de Kassel un programme télévisé en direct transmis par satellite dans plus de trente pays. A la fin de l'émission, Douglas Davis proposait aux téléspectateurs de "traverser" l'écran pour se... rejoindre.

Dans les années 70, Sonia Sheridan, dans son programme Systèmes génératifs à l'Institut d'Art de Chicago, a développé une série d'expérimentations avec le fax, étudiant l'évolution et la transformation des images et de leur composition dans les processus de transmissions en rapport avec le son.

En 1989, à l'initiative de l'artiste italienne Giovanna Colacevich présente à Rome, Roy Ascott à Bristol, Tom Klinkowstein à New York et Fred Forest à Amiens constituent un réseau "interactif" par fax, utilisant un Polaroïd et ayant pour propos de se retrouver réunis sur la même photo, après différents échanges, action réalisée sous le titre générique de Tempo Real.
Entre 1989 et mars 1990, le groupe Art Réseaux, coordonné par Karen O'Rourke, entreprend un voyage imaginaire par fax avec des "itinéraires portraits" dans différentes villes d'Europe, des Etats-Unis et du Brésil.
Dès l'année 1967, L. Roberts, chercheur au département de la Défense américain, avait eu l'idée de mettre en commun les ressources des Centres de recherche des Etats-Unis par la connexion des ordinateurs et la constitution de réseaux. Toutefois l'utilisation "artistique" des réseaux d'ordinateurs ne s'imposera significativement qu'en 1980 avec le projet Art box proposé par l'artiste viennois Robert Adrian. Il s'agissait du premier réseau artistique de courrier électronique monté à l'aide de la compagnie multinationale IP Sharp. Plus tard, Art box va devenir Artex, pionnier des réseaux artistiques électroniques d'accès international, qui fut par la suite la structure d'accueil pour de nombreux projets de télé
communications. Le système Sharp est essentiellement une messagerie électronique à partir de laquelle les usagers peuvent circuler dans un réseau de points localisés..

Dans les années 70, Kit Galloway et Sherrie Rabinowitz firent appel au concept d'espace électronique en mettant en œuvre une expérience vidéo-géographique, intitulée Hole in space (Littéra-lement : Le trou dans l'espace), permettant en temps réel aux passants d'une rue de New York de communiquer avec ceux d'une rue de Los Angeles. Le "trou dans l'espace" fonctionna en continu, plusieurs jours durant, créant en quelque sorte un lieu constitué d'électrons et de gestes, connaissant un véritable succès public et mettant en évidence comment la fonction muséale peut être remise en question par la technologie comme média exclusif de culture auquel elle prétend. Les artistes de la
communication ont très vite perçu les partis perceptifs, esthétiques, voire philosophiques qu'ils pouvaient tirer de la "téléprésence" comme moyen permettant d'agir à distance sur le monde réel par des représentations imagées ou des simulations virtuelles. Avec la "télépré-sence", les artistes, s'adaptant à la progression des technologies de pointe, explorent maintenant les possibilités qu'offre la "télévirtu-alité", qui consiste à connecter des stations de travail graphique ou des stations de réalité virtuelle à travers des réseaux commutés à bande étroite (par exemple RNIS) ou même le réseau téléphonique.
Le phénomène du réseau est devenu un phénomène majeur dans nos sociétés par son extension à l'échelle planétaire et tel qu'il existe à l'heure actuelle avec Internet qui compte... 80 à 90 millions d'utilisateurs, dont 20 millions en permanence ! Les avantages techniques des transmissions à haut débit du système RNIS ouvrent aux artistes un champ de possibilités multimédia d'une extrême richesse. Ils permettent l'intervention simultanée à distance de plusieurs partenaires en même temps que l'utilisation de messageries interactives et tridimensionnelles graphiques. Parmi les artistes ayant eu recours au RNIS, on peut citer Paul Sermon qui, dans son projet intitulé Telematic dreaming, mettait en œuvre deux lits séparés dans l'espace dont les occupants pouvaient se retrouver "partenaires"... sur la même image. Paul Sermon a réalisé ce projet à la galerie Kajaani en Finlande, de mai à septembre 1992, pour le présenter par la suite à Linz en Autriche, dans le cadre de l'exposition Ars Electronica en 1993. On peut également citer la Van Gogh TV, Piazza Virtuale fonctionnant dans le cadre de la Documenta IX de Kassel de juin à septembre 1992, en relation avec plusieurs métropoles d'Europe, des Etats-Unis et du Japon. Les transmissions télématiques rendues possibles par le RNIS en temps réel peuvent, comme dans le projet de téléprésence Ornitorrinco, réalisé par Eduardo Kac, mettre en avant l'interaction ludique. L'une des installations présentées au Siggraph 1992 consistait en une "machine robot" se déplaçant dans son atelier, mais pouvant être actionnée à des milliers de kilomètres de là par l'intermédiaire d'un "pavé" téléphonique. Un visiophone permettait de suivre l'évolution du robot dans les déplacements télécommandés, selon un cycle d'images en noir et blanc réactualisées toutes les 6 secondes, alors que l'artiste, entre-temps, s'efforçait de dresser des obstacles... sur le parcours du robot.
Pour boucler ce rapide tour d'horizon qui n'a pour but que de témoigner de la vitalité des pratiques artistiques liées aux technologies de
communication, comme de leur émergence à partir des années 60, il nous faut encore citer Christian Sevette avec son concept de Figuration interactive, Jean-Claude Anglade avec son Image minitel collective, Natan Karczmar avec ses projets Téléphone et Evénement radio simultané, Jean-Marc Philippe avec La Roue Céleste, Stéphan Barron, accompagné de Sylvia Hansmann, et son action télématique sur le méridien de Greenwich, Philippe Hélary avec son projet télématique Corse, Bure-Soh et ses espaces interactifs sonores, Olivier Auber avec son Générateur Poïétique, Philippe Jeantet avec Cable news nature CNN, Roberto Barbanti, Gilberto Prado et le groupe Art-réseau... Pour clore cette liste, nous citerons encore Orlan pour son exposition à la galerie Sandra Gering de New York : Omniprésence : la septième opération chirurgicale-performance retransmise en direct par satellite et visiophone, dans plusieurs villes en Europe, aux U.S.A. et au Canada (1993), et le groupe multimédia Das synthetische mischgewebe animé par Isabelle Chemin et Guido Hubner.
Ce groupe fut créé à Berlin en 1986. Après Barcelone, le groupe s'installe à Bordeaux en 1990 pour travailler dans les domaines de l'installation et de la performance multimédia. En février 1993, il présente à Montflanquin, en France, un environnement contrôlé par ordinateur et intitulé : Perception, Fast forward IV. Il s'agit d'une œuvre composée d'un ordinateur "maître" et de ses trois "esclaves"... robots autonomes, accompagnés par l'affichage d'images 2D et animation 3D réalisées à partir de la résonance magnétique saisie directement dans le cerveau de l'un des membres du groupe. Des capteurs assurent l'interface avec le milieu extérieur.
Dans le dispositif créé sont mis en scène les robots. Leurs capacités de réaction s'établissent entre les forces appliquées et les propriétés de rotation (spin) inhérentes aux lois des particules élémentaires. Ce sont ces données qui ont guidé l'écriture du programme informatique initial, des questions apparaissant sur des panneaux lumineux et permettant au public, selon le positionnement des visiteurs, d'interagir avec le système. Ces questions d'ordre "symbolique", traduites par signaux lumineux, reçoivent des réponses saisies par des capteurs infra-rouges couplés aux robots, modifiant en temps réel leurs comportements, ainsi que les images et les configurations diffusées sur des moniteurs disposés en arc de cercle sur l'aire d'évolution. Les prises de décision par un groupe d'informations dans un système complexe se retrouvent tant au niveau de la recomposition des images que dans le mouvement des robots conditionnés par les décisions du public. Suivant la stratégie du "donnant-donnant", les visiteurs, par des décisions concertées et collectives, peuvent forcer le système dans ses capacités optimales afin d'obtenir le "maximum" de changement dans la configuration des images offertes.
Indépendamment des pratiques artistiques qui s'ancrent dans les réseaux télématiques et s'appuient sur des technologies de
communication à proprement parler, celles qui nous intéressent ici au premier chef, il faut signaler l'existence de nombreuses autres pratiques issues des développements techniques et scientifiques. Pour avoir une idée juste de l'importance qu'ont prise à travers le monde ces pratiques artistiques resituant la relation Art/Scie-ces/Technologie ces dernières années, il suffit de se reporter au Guide des arts électroniques (IDEA) qui répertorie plus de 500 noms d'artistes et de théoriciens dans ces domaines, ainsi qu'aux ouvrages de Frank Popper et de Louise Poissant.
Ces nouvelles formes artistiques ont donné lieu à la photo numérique, aux images de synthèse, à l'holographie, aux sculptures à mémoire de forme, à la robotique, à des œuvres relevant de l'intelligence ou de la vie artificielles. Mais elles n'ont pas été non plus véritablement intégrées au champ reconnu par l'art contemporain. Seule la vidéo paraît avoir bénéficié d'un statut réel faisant l'objet d'une reconnaissance des instances de légitimation.
Pour un artiste, choisir un support déterminé pour réaliser une œuvre donnée est avant tout un choix personnel. Bien évidemment, il ne peut choisir que ce à quoi il a accès pour des raisons de contraintes pratiques, techniques ou économiques...

Il faut bien le constater : malgré une évolution de la production qui s'est élargie ces dernières années à l"objet et à l"installation", la production artistique reste encore marquée par l'empreinte très largement dominante de la peinture. Ce support, ce médium, ce mode de création archaïsant reste encore, et si l'on juge les transformations qui ont par ailleurs affecté notre cadre de vie, le référent "privilégié". C'est à partir de lui que se développe le discours dominant sur l'art, fondateur des valeurs de l'art contemporain avec la caution et la complaisance des instances de légitimation. Cet état de fait en dit long sur les retards de pensée dans le domaine de l'esthétique. Les usages sociaux des nouvelles technologies, en se généralisant comme ils le font à des rythmes qui s'accélèrent, auront tôt fait de renvoyer dans les placards de l'histoire des "modes de pensée" et de "faire" désormais obsolètes.

Le développement des
communications en réseaux, les "détour-nements" que pourront en opérer les artistes utilisant l'hypertexte, l'hypermédia, exigent certaines procédures, induisent certaines formes et constructions. Dans les arts de réseaux et compte tenu de leur vocation à l'interactivité, les divisions traditionnelles entre "celui qui fait" et "celui qui consomme", entre l'artiste et le regardeur passif, tendent à s'estomper. Le "sens" est produit au cours d'un processus "dialogique" lancé par les acteurs et partenaires télématiques en présence. L'introduction du hasard et de l'aléatoire dans l'art conservera toutes ses chances. Si ce n'est plus l'éponge de Praxitèle jetée violemment de dépit contre la surface bombée de l'écran qui pourra figurer l'écume du cheval, le "bug" ou le "virus", tout aussi imprévisibles, se chargeront bien d'être les auxiliaires de l'artiste. S'il nous faut prendre conscience que les nouvelles technologies offrent aux artistes de vertigineuses perspectives, nous devons savoir que les voies d'évolution ne sont plus tant liées à l'image comme "produit", qu'au "processus" enclenché. Ce déplacement est synonyme de modifications fondamentales pour notre perception de l'art, son appréhension esthétique et philosophique, et est directement articulé au passage progressif d'une société de consommation de l'objet à une société de communication et d'immatérialité. L'on peut déjà imaginer comment, aux techniques et aux pratiques picturales inaugurées en leur temps par la peinture, et se modifiant au cours des siècles (des "glacis" de Véronèse au "dripping" de Pollock...), vont se substituer d'autres approches, d'autres procédures, d'autres façons de faire. Nous citerons, pour exemple, le "butinage" dans l'art réseautique. Cette technique, telle que l'a définie Roy McAleese, est l'emploi d'associations explicites ou implicites permettant de déterminer le prochain élément pour avancer. Il s'agit de suivre une idée en utilisant le mécanisme de liaison des éléments entre les "nœuds" et les "fenêtres" dans le cas d'un hypertexte. Il y a différentes stratégies de butinage: le "balayage" pour couvrir un champ large sans profondeur, le "browsing" pour suivre un chemin jusqu'à ce qu'un but soit atteint, la "recherche" pour s'efforcer de définir et de trouver un objectif explicite, l"exploration" pour découvrir et exploiter toutes les extensions de l'information initialement obtenue, le "vagabondage" pour voyager à travers le monde de façon informelle et sans but précis...

Avec les hypermédias, l'artiste vise un rêve fondamental celui de "conscientiser" le contexte dans lequel nous baignons pour que nous puissions nous mouvoir, avec une parfaite aisance, dans un univers total de formes médiatisées.

Sans faire un travail spécifique sur la
communication, mais en utilisant les nouvelles technologies dans des pratiques originales, il faut encore citer comme artistes représentatifs d'un art actuelÝ: Patrick Prado, Erik Samakh, Miguel Chevalier, Eric Maillet, Yvan Chabanaud, Nessim Merkado, Marc Battier, Philippe Bootz, Michel Bret, Henri Chopin, Philippe Jeantet, Frédéric Develay, Pierre Friloux, Frédéric Grandpré, Jake, Joël Hubaut, Maria Klonaris, Alain Leboucher, Pierre Lobstein, Vera Molnar, Katerina Thomadaki, Jean-Pierre Giovanelli, Monique Wender, Gilles Roussi, Teresa Wennberg, qui vivent en France, et à l'étranger, J¸rgen Claus, Antoni Muntadas, Richard Kreische, Liliane Lijn, David Rokeby, Michel Snow, Dieter Jung, Piero Gilardi, Norman White, Diana Domingues etc... L'existence de tous ces artistes comme de toute ces pratiques artistiques démontre bien, si jamais il en était nécessaire, de la vitalité et de l'importance de formes d'art qui ont déjà pris la relève pour succéder à ce qui s'est appelé successivement l'Art Moderne puis l'Art Contemporain.