De retour à Paris Fred Forest interroge son ami Julio Le Parc sur son projet de l’éthique dans l’art.

ACTE FONDATEUR
EN PRÉSENCE DE HADEN
GUEST WRITER ET ART CRITIC

Sa mission critique accomplie à la White Box contre le marché de l’art, le fonctionnement des institutions muséales et les foires de l’art, Fred Forest après son séjour à New York est rentré en Europe. L’art est autre chose que de la marchandise affirme-t-il. Et les artistes autre chose que de pâles ectoplasmes s’alignant au service d’un système qui les asservi et les aliène. Leur imposant ses lois économiques, jusque dans les modèles à faire, ou à ne pas faire, dont les modes du moment leur dictent la feuille de route.

Pendant son séjour à New York il a rencontré beaucoup d’intellectuels et d’artistes qui s’accordent à penser comme lui que le déclin de notre civilisation est marqué par une perte des valeurs éthiques et esthétiques. L’introduction en force du numérique au sein des activités humaines laisse entendre des bouleversements sociaux radicaux et irréversibles. Les impossibilités de contenir le terrorisme du fait du laxisme entretenu par les Etats de droit dans leur incapacité de changer leurs lois pour lui répondre d’une façon pertinente. Des bouleversements politiques en Europe qui risquent de laisser place aux extrémismes de tous bords. Les corruptions au plus haut niveau de l’Etat dans nos sociétés avancées. Des problèmes de transitions climatiques qui se font déjà ressentir autour de la planète ici où là. Des situations corroborées chaque année par des statistiques qui nous apprennent que les riches deviennent de plus en plus riches, alors qu’au contraire les revenus des pauvres vont s’aménuisant ! Autant de raisons qui devraient nous conduire, nous artistes, non pas à laisser tomber les bras, mais à relever nos manches. A revendiquer plus de justice et au lieu nous complaire dans les ghettos dorés de l’art d’adapter notre art aux besoins de la société comme l’a tenté l’art sociologique en son temps.  Au moment et de partir de New York Fred Forest a déclaré qu’il allait y revenir.  Revenir à New York pour tenter de monter un événement autour d’un Mouvement fondateur de l’Ethique dans l’art qu’il désire lancer. Estimant que les artistes devraient reprendre le Pouvoir et la parole à ceux qui finalement l’ont usurpé en mettant en place un système de l’art qui s’en est approprié indument. Délaissant les valeurs morales et esthétiques au profit d’opérations à visées financières. Nous faisant admettre (croire) insidieusement que l’art n’était en quelque sorte qu’une une valeur fiduciaire équivalente à un certain nombre de billets de banque sur le plateau d’une balance Roberval… Je pense que le moment est venu pour les artistes, nous qui sommes les seuls producteurs de biens dans ce système inique et élitaire, de réagir et de réclamer ce qui nous revient de droit. Nous sommes à la charnière de deux cultures. Un moment difficile où les artistes épris de justice et de vérité vraie comprendront que la fonction symbolique dont chacun charge ses œuvres n’a rien à voir avec sa valeur d’échange contre des euros ou des dollars. Je suis formel sur le sujet l’art ne peut se vendre ni s’acheter comme une botte d’asperges au marché, car il n’existe aucune sorte d’équivalence ontologique avec tout autre produit.

Donc à la limite, il ne peut que s’offrir, et pourquoi pas se donner par exemple contre un sourire ? Mon argumentation vise à démontrer que finalement le marché de l’art n’est qu’une fiction en même temps qu’une imposture dans laquelle ses opérateurs, ses artistes, ses galeries, ses institutions s’agitent vainement quand l’art d’aujourd’hui et de demain est déjà ailleurs Sous des formes visibles ou invisibles mais toujours insoupçonnées. Comme la musique, par exemple, dont le papier qui porte les notes n’est jamais confondue avec l’œuvre alors que dans la peinture le support est partie indissociable de l’œuvre…

Avec le numérique des changements drastiques se dessinent qui perturberont inévitablement la fonction de l’art dans les années à venir.  Fred Forest partagera la discussion avec les participants pour décider ensemble quelle sera la fonction de l’art en dehors du marché et des institutions. Lui ne sera que le catalyseur d’une situation historique dont les plus jeunes générations devront prendre main pour construire leurs propres valeurs. Des valeurs qui ne répondent et qui n’appartiennent qu’à elles-mêmes. A leur propre culture, celle qui s’élabore pour eux smartphone en mains Un art appartenant à la culture de leur temps dont le substrat reste le même depuis la nuit des temps et dont seule la forme change. L’amour, la solidarité, la fraternité, la liberté, toujours accompagnés de leurs pendants obscurs, la haine, l’indifférence, le cynisme, la fascination de la mort. Un art géopolitique et délocalisé, qui donne du sens à tous et pour tous. Un art qui mette les artistes, l’art, l’imagination et l’invention stratégique au centre du monde …

Et surtout, s’il vous plaît, un art qui ne s’achète, ni ne se vend.

6 mai 2018,
Claude Forest alias Fred